L’histoire de l’Iran et d'Israël
- Jacqueline Snidman-Stren
- 8 nov.
- 5 min de lecture
Bien avant la naissance des États modernes d’Iran et d’Israël, leurs peuples partageaient l’une des relations les plus anciennes et les plus complexes du Moyen-Orient. Ce qui avait commencé comme une histoire de libération et d’alliance, enracinée dans des liens profonds entre Perses et Juifs, est devenu un récit de séparation, d’idéologie et de conflit qui a mené à la guerre des Douze Jours en 2025.
La relation judéo-persane remonte à près de 2 600 ans. En 539 av. J.-C., Cyrus le Grand conquit Babylone et libéra les exilés juifs, leur permettant de retourner à Jérusalem et de reconstruire le Second Temple. Ainsi, la tradition juive lui rend hommage.
Environ « 50 000 Juifs sont retournés dans leur patrie ». Cependant, de nombreux Juifs ont choisi de rester en Perse. Sous la domination perse, les Juifs prospérèrent, établissant leurs propres tribunaux et institutions communautaires. Plus tard, l’Empire sassanide (224-651 ap. J.-C.) « devint un centre de vie juive ». Le Talmud de Babylone, « une collection d’écrits rabbiniques qui offre des commentaires et interprétations de la Torah », fut achevé sous la domination sassanide.
Même après la conquête islamique de la Perse au VIIe siècle, lorsque les Juifs devinrent des Dhimmis, ou citoyens de seconde classe soumis à des taxes supplémentaires et à des lois discriminatoires, les relations entre Juifs et Perses demeurèrent relativement stables pendant des siècles. Les communautés juives prospérèrent dans de nombreuses villes, dont Ispahan et Shiraz.
Cette amitié historique refit surface au XXe siècle sous le règne du Shah Mohammad Reza Pahlavi. De 1941 jusqu’à son renversement en 1979, l’Iran du Shah fut l’un des partenaires discrets mais cruciaux d’Israël.
En 1950, l’Iran devint le deuxième pays musulman à reconnaître Israël, de facto mais non officiellement. Ce partenariat reposait sur une stratégie pragmatique, les deux nations cherchant à contrer le nationalisme arabe et l’influence soviétique. Sous la doctrine de la périphérie du Premier ministre David Ben Gourion, Israël tissa des liens avec des États non arabes comme la Turquie, l’Éthiopie et surtout l’Iran, considéré comme le « joyau de la couronne » de cette alliance.
La coopération était profonde et complexe. L’Iran fournissait jusqu’à 60 % du pétrole d’Israël via l’oléoduc secret Eilat-Ashkelon. Le Mossad et la SAVAK iranienne collaboraient dans des opérations de renseignement, formant même une alliance trilatérale avec la Turquie, connue sous le nom de Trident. Des ingénieurs israéliens conçurent le système d’égouts de Téhéran et construisirent des quartiers entiers. Des vols El Al reliaient Tel Aviv à Téhéran, et des étudiants iraniens fréquentaient les universités israéliennes.
Pour les 80 000 Juifs d’Iran, ce fut un âge d’or. Ils étaient parlementaires, entrepreneurs, enseignants, jouissant d’une sécurité et d’une prospérité sans précédent. Les marchés casher fonctionnaient ouvertement, les écoles juives prospéraient, et les synagogues remplissaient les villes. À Téhéran, la communauté juive fonda l’hôpital et centre de charité Dr. Sapir, le plus grand hôpital juif du Moyen-Orient, qui soignait des patients de toutes confessions et qui fonctionne encore aujourd’hui.
La révolution islamique de 1979 brisa cette alliance du jour au lendemain. L’ayatollah Rouhollah Khomeini dénonça Israël comme le « Petit Satan », l’associant au « Grand Satan », les États-Unis. Il remit l’ancienne ambassade israélienne de Téhéran à l’Organisation de libération de la Palestine, et Yasser Arafat lui-même « hissa le drapeau palestinien là où flottait jadis l’étoile de David ».
La rhétorique de Khomeini transforma la haine religieuse en politique d’État. Le nouveau régime déclara l’anéantissement d’Israël comme un devoir sacré. Il institua la Journée de Qods, le dernier vendredi du Ramadan, comme un rassemblement annuel pour la destruction d’Israël. Les rues iraniennes retentissaient de slogans « Mort à Israël », et l’antisionisme devint un pilier de l’idéologie de la République islamique.
La même année, l’Iran exécuta Habib Elghanian, un important « leader de la communauté juive », sur la base de fausses accusations d’espionnage pour Israël. Des dizaines de milliers de Juifs fuirent le pays. Sur les 80 000 Juifs présents autrefois en Iran, seuls environ 20 000 y vivent encore aujourd’hui, sous surveillance étroite.
Malgré les déclarations enflammées de Khomeini, l’Iran et Israël ont parfois coopéré secrètement. Pendant la guerre Iran-Irak des années 1980, Israël fournit secrètement des armes à Téhéran, dans le cadre de ce qui deviendra l’affaire Iran-Contra. En échange, le régime permit à davantage de Juifs d’émigrer.
Malheureusement, dans les années 1990, l’hostilité s’est durcie. L’Iran a fondé le Hezbollah au Liban et a commencé à soutenir le Hamas et le Jihad islamique palestinien. Le régime a orchestré des attentats contre des cibles juives et israéliennes à l’étranger, notamment les attentats de 1992 et 1994 contre l’ambassade d’Israël et le centre communautaire juif AMIA à Buenos Aires.
Les ambitions nucléaires de l’Iran, lancées en 1987, ont rendu l’animosité publique. Les services de renseignement israéliens ont répondu par le sabotage, la cyberguerre (notamment le virus Stuxnet en 2010) et l’assassinat ciblé de scientifiques nucléaires iraniens.
Dans les années 2000 et 2010, la République islamique a continué d’encercler Israël via son Axe de la Résistance, comprenant le Hezbollah au Liban, le Hamas et le Jihad islamique à Gaza, les Houthis au Yémen et des milices pro-iraniennes en Syrie et en Irak.
En octobre 2023, ce réseau a mené son attaque la plus meurtrière, le Hamas tuant 1 200 Israéliens le 7 octobre. Les renseignements israéliens et occidentaux ont ensuite confirmé que l’Iran avait financé, formé et soutenu l’opération. L’année suivante a vu une forte escalade, avec des tirs de roquettes du Hezbollah, des frappes israéliennes en Syrie et des frappes directes de missiles iraniens sur le territoire israélien en avril et octobre 2024.
En 2025, les tensions atteignirent un point de rupture.
Le 11 juin 2025, Israël lança l’opération Lion Levant, une frappe préventive visant les installations nucléaires iraniennes et les hauts responsables militaires. L’opération neutralisa une partie de l’infrastructure d’enrichissement de Natanz. L’Iran riposta par des vagues de drones et de missiles balistiques contre des villes israéliennes.
Pendant douze jours, la région a vacillé au bord d’une guerre plus large. Le 21 juin, le président américain Donald Trump autorisa des frappes dévastatrices sur les complexes nucléaires et balistiques iraniens, forçant les deux parties à négocier. Deux jours plus tard, un cessez-le-feu fut conclu.
Ce conflit marqua la première guerre ouverte entre Israël et l’Iran dans l’histoire moderne, brève mais déterminante.
Aujourd’hui, l’Iran abrite encore une petite communauté juive, protégée par la Constitution mais étroitement surveillée. Pendant ce temps, plus d’un quart de million de citoyens israéliens ont des racines iraniennes, préservant la culture, la langue et la cuisine persanes, même si les deux nations restent de part et d’autre d’un fossé idéologique.
L’ironie de l’histoire veut que la même civilisation qui a libéré les Juifs de la captivité babylonienne menace aujourd’hui la patrie juive de destruction. Pourtant, les citoyens iraniens expriment souvent leur admiration pour l’innovation et la démocratie israéliennes, suggérant que l’ancienne amitié entre Perses et Juifs n’est peut-être pas totalement détruite, seulement réprimée par les principes du régime.
De la libération sous Cyrus à la guerre des Douze Jours de 2025, la relation entre l’Iran et Israël s’étend sur des millénaires, passant de la parenté au conflit, et de la sagesse partagée à la rivalité existentielle. Elle reflète le Moyen-Orient lui-même, façonné par son passé, divisé par l’idéologie, et toujours lié par une histoire qu’aucun des deux camps ne peut totalement oublier.



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